C'est plutôt étrange d'entamer les mots de cette 212e lettre. Je sais bien que les dernières étaient assez courtes; comme tu le sais, je m'épuise vite depuis quelques jours. J'ai bien peur de ne pouvoir continuer à écrire très longtemps, mais je ferai un effort, puisque ce message sera le dernier.
Je commence à avoir peur de ce qui m'attend. J'ai affronté tous les traitements du mieux que j'ai pu, sans bien sûr vouloir faire preuve de quelconque vantardise. Seulement, c'est la fin qui me terrorise. Je me plais à espérer un genre de paradis, qui m'accueillera à bras ouverts. Si j'ai de la chance, mes rêves se verront peut-être réels, qui sait? Comme j'aurais aimé vivre mes derniers moments en ta compagnie...
Je t'en ai peut-être déjà glissé un mot dans une précédente lettre, mais la maladie m'a fait réaliser beaucoup de choses. En utilisant l'argent de papa, j'aurais assurément pu me guérir sans trop avoir de dettes, mais cette idée m'a parue fade et beaucoup trop égoïste. Et puis, au fur et à mesure que je regardais tous ces blêmes mourants s'éteindre dans cet hôpital tout aussi triste que la disparition de mes compatriotes, l'idée d'offrir à ces gens un bien meilleur endroit pour leur phase terminale a prit de plus en plus d'expansion, obsédant mes pensées. J'avais vu quelques rares patients sourire jusqu'à leurs dernières heures, et leur visage bien que fatigué étiré d'une douce expression ne manquait jamais de me faire pleurer lors de leur décès, lorsque je réalisais à quel point certains étaient si forts malgré cet horrible fléau qui rongeait tout.
J'ai parlé de mon projet à plusieurs personnes, qui, dans un élan de bonté qui me surprit et surtout, me toucha, acceptèrent de m'aider à trouver plus d'argent, que ce soit par diverses campagnes ou commandites. La somme amassée fut plus que suffisante, mais étant dans l'impossibilité de poursuivre ce que j'avais entrepris, je déposai avec confiance et bien sûr regret la responsabilité sur les épaules de Chang Woon, qui sans doute fera un excellent travail.
Les médecins m'ont permis de sortir un peu dehors, et c'est en regardant les feuilles rougeâtres danser sous la brise que je t'écris ces mots. Lorsque je te rejoindrai, là-haut, on pourra danser avec elles... C'est bien ce que tu me disais, non?
J'espère que tu ne m'en voudras pas de ne laisser qu'un maigre héritage à Min. Je lui en ai parlé, et elle aussi est d'accord pour créer ce havre qui me hante tant.
Tu me manques. Tu me manques tellement...
Je t'aime.

Cette lettre n'a jamais été signée, pourtant c'est sans doute la première chose qu'on voit affiché au mur, en pénétrant l'enceinte de My Heaven. Aménagé sur une île qui fut achetée dans l'unique but d'offrir un paradis terrestre aux malades en phase terminale, le centre possède sans doute tout ce dont on peut avoir rêvé. Les pensionnaires sont libres d'aller où ils veulent, et on tente de les garder éloignés le plus longtemps de l'équipe médicale. Au cours des années, il ne fut pas rare de voir l'espérance de vie de plusieurs augmenter par le simple fait de côtoyer autant de gens qui comprenaient leurs souffrances, et surtout de pouvoir s'épanouir dans ce milieu si parfait. Certes, le temps se fait toujours lourd, rares sont ceux qui guérissent totalement... Seulement tout fait moins mal. Le drap oppressant qui entoure les proches des malades se fait plus léger ici, puisque tous sont confrontés à la même fatalité. My Heaven s'est surtout tissé de fabuleux souvenirs et chroniques, racontés ou écrits, et aucun pensionnaire n'est vraiment oublié.
Les plus belles histoires qu'on entend en ces lieux sont celles racontant l'histoire d'un homme qui du paradis regardait celui qu'il avait créé.

Écrit par Walrus (Pak Chul Hei)
Le 13 août 2011

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