Attendre. Qu'est-ce que je fabrique ici à attendre quelque chose qui n'arrivera jamais. Longtemps, j'ai rêvé de miracles mais j'ai très vite compris qu'ils n'arriveraient jamais. Et puis maintenant je me retrouve ici, à une heure pas possible après avoir marché sur la pointe des pieds pour que personne ne se rende compte de mon absence. Une clope, j'avais besoin d'une clope. Et si les infirmières me choppaient avec une clope entre les doigts, les plus à cheval sur le règlement ne manqueraient pas d'aller en toucher un mot à ma mère. Il fait froid, je n'ai pas pris de veste, tant pis. Je regarde autour de moi, le décors est encore sombre et le vent souffle légèrement. J'avais besoin de venir ici, je ne supportais plus l'air de mon dortoir. J'avais besoin d'un peu plus d'espace, de respirer un nouvel air. Cigarette entre les doigts, je balaie des yeux ce vaste espace. Après toutes ces années passées ici, j'ai appris à me repérer dans le noir. J'ai aussi appris que parfois, il valait mieux éteindre la lumière pour que personne ne puisse voir quoi que ce soit ou remarquer quoi que ce soit. Ce soir, enfin ce matin je suppose, il fallait que je sorte quelque part. Mauvaise journée. Et le seul endroit que j'avais trouvé, c'était ça. Une habitude probablement. Une habitude qui m'a pris au fil des années. Personne ne squattait les lieux à une heure pareille, donc pas de bruit, rien. C'est ce don j'avais vraiment besoin ; le calme, et je l'avais trouvé.


Je n'entends plus que le bruit de mes pas. Hm ? Vous voulez savoir comment les patients peuvent garder leurs paquets de clopes ? Il suffit d'être un peu plus astucieux et vigilant que ceux qui veulent vous les retirées. Je suis sûre que vous savez vous y prendre vous aussi. Il ne faut pas être super intelligent, juste agile... En parlant d'agilité, je manque de me ramasser, me rattrape de ma main droite sur un arbre et regarde à nouveau autour de moi. L'endroit est parfait. Cet arbre, ce ruisseau, tout est bien à sa place. Je m'adosse contre l'arbre avant de m'asseoir puis sort mon briquet. Une faible lumière bleue dans cette obscurité, puis, plus rien. La lune, il ne me reste plus que la lune comme lampe de poche. Une inspiration, un nuage de nicotine dans l'air. J'ai conscience que tous ces nuages de nicotine vont me bousiller les poumons, comme ceux de JunHo. J'ai conscience que ma mère m'en voudra quand elle l'apprendra car, quelque chose me dit qu'elle finira par en entendre parler mais... J'en avais besoin. Ce JunHo en question m'a mit dans tous mes états aujourd'hui. D'ailleurs à tout bien réfléchir, il a été le seul, depuis mon arrivé à Heaven, a pouvoir me mettre dans tous mes états. Même les simples provocations n'ont pas eu d'effet sur moi. Il a débarqué ici, m'a légèrement secouée, même littéralement secouée et puis s'est infiltré dans ma vie, comme ça. C'est aussi simple que ça. Et je lui en ai collé une, ou deux. On s'est battus enfaite, et il n'y est pas allé de main morte. Moi non plus. Les infirmières sont intervenues. Résultat des courses pour JunHo ; marque de gifle au niveau de la joue, égratignures au niveau du visage, main, douleur au niveau du ventre du à un coup de genou, bleu au niveau de l'épaule, joli pansement. Résultat des courses pour moi ; bleu au niveau des genoux, marque au niveau des poignets, pour avoir été cognée contre un meuble et contre le mur ; légère douleur au niveau du dos, égratignures et puis plus rien. Tout ça remonte à des semaines maintenant. Des années, mais tout ça pourrait recommencer. S'il ne m'avait pas traité de stupide pleurnicheuse qui s’apitoie sur son sort, je ne lui en aurait pas collé une, et le cycle ne se serait pas fait. D'ailleurs, je devrais arrêter de penser à lui. Je ne sais même pas comment j'en suis arrivée à penser à lui. Quel était le sujet ? Oui, je ne m'en souviens plus. Des nuages de nicotine s'échappent d'entre mes lèvres et je ferme les yeux. Cet endroit est tout aussi bien que mon dortoir, je pourrais m'installer ici mais ils me retrouveraient et seraient un peu plus vigilant à mon égard et je n'ai pas besoin d'attention. Non non, je n'en ai vraiment pas besoin.


Pleine lune, il fait froid à présent. J'ai les mains dans mes poches, la tête appuyée contre cet arbre. Bon sang pourquoi est-ce que je n'ai pas pris de veste ?! Ma clope s'est finie à vitesse et je me retrouve à nouveau dans une bulle d'obscurité. Une autre, il m'en faut une autre. Je sors mon briquet et m'amuse avec cette lumière bleue pendant un moment en brulant mon pendentif en forme de coeur noir. Un coeur qui s'enflamme... Je sors mon paquet de clope et en fait glisser une entre mes mains. Faible flamme bleue ; le cycle recommence. Ici tout est tellement calme. J'aimerais installer mon lit à cet arbre et tout le reste à côté, près du ruisseau. J'aimerais pouvoir me réveiller ici tous les jours et avoir la lumière du soleil froid au visage. Encore des rêves que je ferai mieux d'effacer. Je cesse d'y penser et ferme mes yeux. Je m'endormirais presque si ce n'est pas déjà le cas. Du calme, c'est ce qu'il me fallait. Je me retrouve emprisonnée dans un rêve presque immédiatement. Dans ce rêve l'obscurité a disparue, il fait déjà jour et ce n'est pas un rêve. Enfaite, cela ressemble plus à un cauchemars. Parce que tout disparait sans vraiment disparaître. Les personnes pour qui le temps de vie était déjà très limité agonisaient dans tous les coins de Heaven, il y avait du sang, des cris d'horreur, des larmes. Et j'étais là, j'étais toujours là entre les larmes et la peur. La peur de rester seule. Tout le monde partait, dans toutes les chambres et personne ne pouvait faire quoi que ce soit. Je me réveille en sursaut et le premier réflexe est de regarder la couleur du ciel. Il fait encore nuit, ou presque jour. Je vois une lueur rose au loin. Je murmure un faible ; "il fait toujours nuit" pour moi même, pensant être seule...